Journal de Marie
Bonjour à vous tous,
Nous voilà à Kigali depuis samedi soir.
Dimanche matin 14 juin 2009
Nous sommes allées sur le chantier bien avancé de la maison principale, où on est en train de faire le coffrage des linteaux. On a une belle vue sur les collines et l’endroit est très calme, reposant, nous avons minutieusement fait le tour Florence et moi en relevant les points à voir avec le chef maçon et l’assistant architecte. J’ai fait la sieste dans la case de passage à côté d’une pile d’Imigongo en attente d’être vendus : ce sont les premiers fabriqués par les femmes pendant leurs quatre semaines de formation. Puis nous sommes parties vers l’umudugudu (lotissement) où vivent les femmes du Collectif, à quelques dizaines de mètres de la Maison de quartier. Elles habitent dans de petites maisons, une porte, deux fenêtres. Il y a une fontaine pour l’eau en haut du quartier, mais aussi des robinets individuels à l’extérieur. Nous avons rencontré deux femmes du collectif et Léonie nous a invitées chez elle. Florence a pu demander des nouvelles aux unes et aux autres. On a appris que certaines suivaient des cours de rattrapage sous le kiosque de la salle polyvalente. L’accueil est simple, chaleureux. Retour vers l’hôtel, lecture et ballade dans le quartier. Repas éthiopien.
Lundi 15 juin 2009
Retour vers la maison où nous découvrons le chantier en pleine activité, Annonciata qui est la magasinière du chantier, Jean le chef maçon, ils sont une équipe de 10 – 12 tous les jours, il y a aussi deux femmes aides maçonnes. Eric l’assistant architecte est là et durant une heure trente nous faisons une visite circonstanciée du chantier. Puis Alice, étudiante en droit (niveau DEUG), représentante locale depuis peu de Rwanda avenir, est arrivée. Nous avons fait connaissance. L’après midi fut consacrée dans un premier temps à rendre visite au Bureau de la Délégation Générale à l’Immigration et à l’Emigration qui délivre l’enregistrement des ONG. Ils souhaitent que nous installions un vrai bureau avec mobilier, matériel de bureau et ordinateur.
Poulet « bicyclette » et banane plantain et une demie Primus. Il est 23 heures quand on rentre.
Mardi 16 juin 2009
Activités administratives dans la chambre, lecture pour moi, organisation de notre voyage à Butare (deux jours de récréation et visites mais aussi contact avec des jeunes responsables de l’environnement et programme « toilettes sèches », musée national..). Visite au centre d’AVEGA qui se trouve à 100m de l’hôtel. Accueil chaleureux, beaucoup de femmes et quelques enfants attendent pour la consultation ou pour recevoir les médicaments dont des anti-rétro viraux. On fait une courte visite au labo, je me promets d’y retourner pour parler avec la technicienne. Jeanne, psychologue du centre nous explique son travail. Puis nous allons à la boutique d’AVEGA où on trouve de l’artisanat fait par les femmes de l’association. Alice nous rejoint à l’hôtel et nous lui donnons un programme de travail pour les dix jours à venir. Bus vers le centre ville, la ville est étendue et on circule entre les collines où sont construits les bâtiments administratifs, le Parlement, beaucoup de verdure et des gens partout, chacun vaque à ses occupations mais tout le monde est prêt à donner un coup de main pour un renseignement. On rencontre Gerd du DED (Coopération allemande), ils ont soutenu Rwanda avenir et Florence veut lui demander son appui pour une formation de perfectionnement en Imigongo pour 20 femmes et jeunes filles. Puis à la recherche de cartes postales (denrée rare), nous grimpons la colline où se trouve le centre ville et on aperçoit une grande affiche proposant des ordinateurs d’occasion. Nous avons procédé à l’achat d’un appareil avec une tour, un écran plat, un onduleur etc. etc. Retour en taxi avec notre matos. Nous fêtons la réussite du concours de Deth, ami cambodgien au poste de professeur de Khmer à Paris.
Mercredi 17 juin 2009
Jeudi 18 juin 2009
Ce fut pour Florence et Eric et Annonciata (femme du Collectif qui s’occupe de la gestion du chantier) une dure journée de travail pour le bilan matériel et financier. Quant à moi je suis partie au marché commander des chaises pour le bureau et un panneau de bois pour faire une pancarte indiquant le projet. Je peux sans problème maintenant utiliser les transports collectifs et il y a toujours quelqu’un pour aider si on ne trouve pas. Retour sur le chantier pour faire le point avec Alice sur le travail qui lui a été confié : recherche de statuts des coopératives afin de préparer ceux des coopératives qui seront mises en place à la fin de la construction, un exercice de rédaction de lettre. Je fais un peu d’origami et Alice me demande de lui apprendre, nous prenons rendez-vous pour lundi avec quelques ami(e)s. Dans le quartier de la Maison de quartier il y a une prison et on voit entrer et sortir des groupes de prisonniers en orange (TIGE, travaux d’intérêt général) ou en rose (condamnés). Je rentre sans attendre Florence à l’hôtel pour faire un pochoir pour le panneau et commencer un Power Point sur le projet qui pourra être présenté aux visiteurs lors de leur passage. Repas dans un petit restau.
Vendredi 19 juin 2009
Nous sommes parties pour Butare au sud-ouest du pays (170 km), trajet en bus pour rencontrer Jean Claude le coordinateur d’un groupe d’étudiants en médecine qui s’investit dans l’aide aux habitants pauvres de la campagne pour améliorer la santé et l’hygiène. Je viens de la part d’un ami, qui a financé des toilettes sèches dans une école rurale. Nous prenons un taxi-voiture et allons voir le village. L’école est perchée sur une colline et à notre arrivée une cinquantaine de petits (7 à 10 ans) dévalent la pente pour nous accueillir, 4 enseignants, 420 enfants. Les toilettes sont là, elles fonctionnent. Tout autour de l’école des champs cultivés par les enfants : choux, manioc, bananes. Nous visitons également le dispensaire, essentiellement PMI et détection de palu (laboratoire goutte épaisse, recherche de BK, et tests urinaires), puis Léonard nous emmène à l’orphelinat s’occupant d’enfants victimes du génocide ou d’enfants dont les parents sont morts du SIDA, 100 enfants au total, accueillis dans des familles, trois vaches pour le lait, fabrication de savons et atelier de couture, nous rencontrons les mamans qui préparent le repas sur un foyer trois pierres, beaucoup de fumée, je promets à Jean Claude de lui envoyer plans et adresses pour le poêle économe de bois. L’orphelinat est financé par une église danoise. Retour à Butare où nous prenons une chambre à la Procure. Repas au marché puis nous nous rendons à pied au Musée National, beau bâtiment moderne, beaux objets et photographies d’époque, textes en kinyarwanda, français et anglais. Nous recherchons les femmes tambourinaires que Florence voudrait rencontrer (ces femmes ont repris cette musique après le génocide, avant 1994 c’était essentiellement les hommes qui jouaient ces percussions) mais nous échouons. Nuit dans notre chambre de la Procure, sommaire mais reposante.
Samedi 20 juin 2009
Départ pour Nyanza depuis Butare où se trouvent les Cases royales. Petit bus collectif et le reste en motos. Visite intéressante et bien commentée par une gentille guide. Palais traditionnel en paille, jonc, osier tressé dans un enclos avec la maison du lait et celle de la bière. Puis le palais en dur du dernier roi, résidence meublée Art Nouveau, photos d’époque, visite du roi (il mesurait 2m 17) à Bruxelles, roi Baudouin, etc. Beau jardin fleuri. Retour vers Kigali. Partout des cérémonies de commémoration du génocide (rassemblements, banderoles violettes, bandeaux dans les journaux, petit nœud violet à la boutonnière…).
Le soir : Atelier pochoir. Repas éthiopien, viande de pot au feu que l’on mange à l’aide d’une crêpe de farine de riz. Coucher 23H15. Dimanche matin à 6H50 un gardien de l’hôtel doit me donner des cendres pour équiper le poêle économe de bois.
Dimanche 21 juin 2009
Matinée à l’hôtel, power point et pochoir pour moi, Florence mettant au propre sa comptabilité. Avant de partir pour la Maison à Kimironko, j’achète une marmite pour utiliser le poêle. Nous sommes chargées avec la marmite et les 10 kg de cendres du restaurant mais cela passe dans le petit bus collectif. Il y a une réunion avec les femmes. Nous serons au total plus de 70, tout l’après midi. Discours, présentation du poêle et mise en route, avec une poignée de brindilles on a fait bouillir de l’eau et les cendres ont vraiment bien isolé le foyer. Il y a trois femmes très intéressées dont l’une travaille dans une forge et l’autre est responsable du groupe restaurant, Alice s’investit pleinement, cela fait plaisir. Séance photos et un chant à la fin. Il fait nuit quand nous rentrons (19H).
Lundi 22 juin 2009
Toute la matinée a été occupée à peindre le panneau que l’on doit placer au bord de la route pour annoncer la Maison. Nous avons aussi récupéré les trois chaises pour le bureau provisoire, nous installons l’ordinateur, puis partons rendre visite à Eugène, orphelin du génocide, habitant de l’umudugudu, Secrétaire exécutif de la Cellule (division administrative), il nous reçoit gentiment et en sortant nous croisons deux femmes du Collectif, nous nous donnons l’accolade et nous répondons au traditionnel « amakuru ? » par la formule qu’on va bien (« Ni méza »). Florence nous quitte vers 13h pour des démarches à faire et une entrevue avec la femme de l’architecte qui est avocate. Je reste à la Maison pour une séance d’informatique avec Alice : rédaction d’une invitation et d’un tableau simple. Vers 16h45 les 6 copines d’Alice arrivent pour une séance d’Origami (pliage de papier). Retour vers 18h45, il fait nuit noire et le taxi collectif est dérouté à cause d’un match au stade Amahoro (« la paix »), je ne me repère plus mais ma voisine me rassure.
Mardi 23 juin 2009
Nous attendons la visite de la Délégation Générale à l’Immigration et à l’Immigration. Je suis chargée de les accueillir. Nous mettons en place le panneau signalétique et faisons un peu de rangement dans le bureau, l’ordinateur lui est sous un pagne qui le protège un peu de cette poussière rouge qui s’infiltre partout. Finalement le rendez-vous est reporté au lendemain. Florence a plus de chance puisqu’elle a rempli les documents et obligations nécessaires à l’établissement du contrat de location de la parcelle et de l’autorisation de construire. A 17 h je rencontre Jean Marie, coordinateur d’associations. Il gère les parrainages (projets pour Rwanda Finistère entre autres). Il connait bien Eric, le filleul que j’avais pris en charge en 1994 et que je rencontrerai vendredi soir après l’école.
Mercredi 24 juin 2009
Ce matin, je me suis chargée d’aller commander une petite table pour servir de bureau à Annonciata qui gère tout le matériel et les salaires des maçons. Pour l’heure elle ne dispose que d’une table basse et d’un tabouret or elle mesure au moins 1m75 et c’est très inconfortable. J’arrive à négocier une table aux dimensions permettant de l’installer provisoirement dans une des chambres de la maison de passage, puis je me rends au Mémorial de Gisozi, le mémorial des génocides. Sans problème avec un bus collectif. Il y a ensuite 15 minutes de marche dans un quartier très pauvre, noria d’enfants et d’hommes qui vont chercher l’eau au bas de la colline pour l’amener dans des jerricans de 5, 10 ou 20 litres dans les quartiers, les maisons sont très sommaires et l’activité intense.
Le Mémorial comporte un bâtiment où s’expose une Histoire du génocide de 1994 avec des textes, déclarations, photos, et des génocides dans le monde (Namibie, Arménie, Shoah, Bosnie, Cambodge…). Les photos apportées spontanément par les familles constituent un mur de visages, des témoignages de rescapés, de Justes, des témoignages déchirants sur les circonstances de la mort d’enfants. Ensuite on peut marcher dans d’immenses allées bordant des fosses communes où on a regroupé les corps, dalles fermées sauf une où on aperçoit les cercueils les plus récents. Devant cette dalle il y avait tout un groupe de femmes qui se recueille en silence, certaines pleurent, au poignet elles portent le bracelet de deuil mauve, elles sont dignes et portent le costume traditionnel. Des oiseaux se chamaillent dans les arbres. Je suis choquée par l’arrivée d’une vingtaine de jeunes Américains en short dans ce lieu qui symbolise ou immortalise les cent jours du génocide de 1994. Puis retour à l’hôtel où je trouve Florence, la Délégation Générale à l’Immigration doit passer dans l’après midi. Juste le temps d’aller au Centre Ville (Hôtel célèbre des Mille Collines) pour confirmer notre vol de retour et rejoindre la Maison. Nous passons 1 heure 30 dans des minibus bondés, par une chaleur accablante. A la maison, nous retrouvons l’assistant de la Délégation Générale, il trouve tout très bien : le bureau, la construction, le projet. Il nous remet le certificat d’enregistrement pour 2009, qui nous permet d’exercer nos activités au Rwanda. C’est une bonne nouvelle. Vers 17 heures le chef maçon nous rejoint, on parle de choses et d’autres : chantier, ciment rwandais meilleur que l’ougandais mais plus cher… Il ne rentrera pas ce week-end dans sa famille, il a 3 enfants et un orphelin et 4 vaches…mais il siège dans un tribunal Gacaca. Il voudrait qu’on aille ensemble à Nyanza voir le Palais royal mais nous n’aurons malheureusement pas le temps. Retour sur l’hôtel, un chauffeur de taxi que Florence connait s’arrête et nous transporte gratuitement vers l’hôtel.
Jeudi 25 juin 2009
Le matin rencontre avec François l’animateur « cuisine » du groupe restaurant et visite à l’AVEGA pour renouveler la convention qui lie Rwanda avenir et AVEGA.
J’avais rendez vous pour le stage « origami » mais les filles ne sont pas venues. Nous étions assises A. et moi dans la Maison de passage, quand tout d’un coup elle s’est mise à me raconter ce qu’elle avait vécu entre mai et le 18 juin 1994, jour où elle et l’une de ses filles ont été délivrées par le FPR. Devant moi elle revivait les moments où elle se cachait avec ses enfants, la mort de son mari, de la voisine et de sa fille puis les journées de juin à l’église de la Sainte Famille où elle était avec une de ses filles, l’autre étant avec son fils à l’église St Paul (libérés le 16 juin par le FPR), j’ai écouté en silence, elle disait qu’après les évènements de mai elle n’avait plus peur car la peur avait explosé son cœur, maintenant elle se plaint d’une absence de mémoire immédiate. Elle était très égarée et allait vers les barrages brandissant sa carte d’identité qui la désignait comme Tutsi. J’étais bouleversée. En rentrant à l’hôtel, on a parlé avec Florence et cela était bien mais la nuit a été courte car son récit me revenait sans cesse en tête.
Vendredi 26 juin 2009
Journée pleine d’émotions, puisque grâce à Jean Marie j’ai pu aller voir le filleul Eric et sa sœur que nous parrainons Gilbert et moi, il avait 5 ans à l’époque, Orphelin en 1994, il est recueilli successivement par un oncle qui décède, puis un deuxième qui décède aussi, une cousine qui se marie et les laisse chez une autre cousine, heureusement l’association les a toujours suivis, sa sœur et lui. Ce sont maintenant des jeunes scolarisés en lycée en seconde pour Eric et en première pour sa sœur qui fait un cursus en biochimie. On a pu un peu parler, prendre des photos et nous communiquerons par courriel. Puis nous sommes rentrés à pied avec Jean Marie dans une nuit noire, impossible de me repérer. Florence avait invité pour le repas la Présidente d’AVEGA, Chantal, et la Secrétaire exécutive, Assumpta, longue soirée où nous avons évoqué les femmes, les veuves, les traumatismes du génocide, la vie quotidienne.
Dans l’après midi nous avions récupéré la table pour la maison et comme elle ne rentrait pas dans le coffre du taxi, un jeune l’a chargée sur une moto, nous suivions avec la voiture !
Samedi 27 juin 2009
Ce soir on prend l’avion. Avant : dernière réunion à la Maison, on fait des crêpes sur le poêle. J’écris sur l’ordinateur du cyber. A bientôt, je vous embrasse. Marie
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